Médicaments de substitution imposés aux médecins:      

Perte de chance pour les patients!

 

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Par Patrick de Casanove.

Au début des années 80 il ne serait venu à l’idée d’aucun médecin, généraliste ou spécialiste, qu’en France il puisse y avoir un jour pénurie de certains médicaments ou de médecins.

Il faut dire que, à cette époque, pour les médecins en activité depuis plusieurs années, la situation professionnelle, matérielle et morale, était bonne. Quant aux générations de médecins formés dans les années 70, il leur avait été expliqué durant toutes leurs études, chiffres, projections et prévisions absolument dignes de confiance à l’appui, qu’il y aurait trop de médecins à partir des années 2000. En particulier trop de médecins généralistes et que ces derniers auraient de la peine à travailler. Il fallait donc que « l’État réagisse ».

C’est une des raisons pour lesquelles le gouvernement instaura en 1971 le numerus clausus et le concours d’entrée aux études de médecine. Un autre objectif était de faire des économies, en réduisant l’offre de soins et ainsi « sauver la Sécu ».

C’est pourquoi une autre mesure compléta le numerus clausus en 1997. Ce fut le fameux MICA (Mécanisme d’Incitation à la Cessation d’Activité) que bien des confrères se firent un plaisir de saisir. Son but était toujours de réduire l’offre en mettant à la retraite anticipée les médecins à partir de 56 ans, en leur offrant des avantages, dont une forte prime. Le MICA fut supprimé en 2003.

Le temps est un bon juge. Aujourd’hui les Français constatent que les prévisions gouvernementales ont fait une nouvelle fois la preuve de leur fiabilité absolue. La politique suivie par l’État a montré comme à chaque fois qu’elle était fort judicieuse. En effet, quarante ans plus tard, à la Sécu toujours mal en point, la France a ajouté la crise des urgences, la pénurie de médecins et la pénurie de médicaments (non exhaustif).

Ces propos liminaires ont pour objectif de montrer que la pénurie est partout dans notre système de soins. Concentrons-nous sur la pénurie de médicaments. Les médias en parlent beaucoup et elle a fait l’objet d’un rapport du Sénat.

PLUSIEURS PRODUITS CONCERNÉS PAR LA PÉNURIE DE MÉDICAMENTS

C’est au début des années 2000 que les médecins français commencèrent à constater le manque de médicaments. Les pharmaciens qui ne pouvaient honorer leurs ordonnances les appelaient pour des substitutions ou, à défaut, une autre solution si c’était possible. Au début il ne concernait que peu de produits et se traduisait, généralement, par un certain retard à la délivrance.

Malheureusement cela ne fit que s’aggraver.

« Entre 2008 et 2017, les signalements des médicaments en tension ou en rupture de stock sont passés de 48 à 530. Du jamais vu. »

Tous les produits, même les plus courants, peuvent être touchés : vaccins, antibiotiques, anticancéreux, antiparkinsoniens, antiépileptiques, antiallergiques, antihypertenseurs etc.

Les pénuries touchent tellement de familles de médicaments que chacun peut en être victime.

CONSÉQUENCES POUR LES PATIENTS

  • Perte de chance

C’est la conséquence la plus lourde. « La Cour de cassation a identifié une hypothèse de perte de chance chaque fois que le dommage a fait disparaître une probabilité qu’un événement positif pour la victime se réalise, ou une probabilité qu’un événement négatif ne se réalise pas. »

Dans le cas que nous traitons le dommage est le manque du médicament. Celui-ci peut se révéler dramatique.

« 25 % des répondants se sont déjà vu refuser la délivrance d’un médicament ou d’un vaccin pour cause de pénurie. C’est ce qui ressort d’une enquête BVA, publiée le 17 janvier 2019 par France Assos Santé. Ce taux monte même à 31 % pour les personnes atteintes par une affection longue durée (ALD). Dans plus d’un cas sur trois (36 %), ces ruptures d’approvisionnement concernent des vaccins.

L’enquête met par ailleurs en évidence le fort impact de ces pénuries sur la santé des patients. En effet, 45 % des personnes confrontées à ces pénuries ont été contraintes de reporter leur traitement, de le modifier, voire d’y renoncer ou de l’arrêter complètement rapporte l’enquête. Avec des conséquences psychiques (anxiété mentionnée par 21 % des répondants et 41 % de ceux en ALD), et physiques potentiellement graves : augmentation des symptômes dans 14 % des cas, erreurs dans la prise de médicaments de substitution (4 %). Une hospitalisation a même été nécessaire pour près d’une personne sur vingt. »1

  • Rationnement

Sur Europe1 à 7 h 20 le 28 mai 2019 dans « Europe1 va plus loin », on apprend que certains pharmaciens parisiens rationnent pour pouvoir fournir suffisamment de patients. Ils ouvrent des boîtes et donnent la dose strictement nécessaire.

Les pénuries peuvent aussi contraindre les médecins à choisir quels patients bénéficieront d’un traitement et lesquels n’en bénéficieront pas.

PRÉSENTATION DES PRÉSUMÉS COUPABLES

Une revue de presse montre que les causes les plus fréquemment évoquées sont :

  • La mondialisation

« Car le marché pharmaceutique est un marché « globalisé », en forte croissance (6 à 10 % par an), mis en tension par l’accès de nouveaux pays aux médicaments, comme la Chine. Le pays s’est engagé à rattraper d’ici à 2030 les niveaux de santé publique des pays développés. En 2010, 100 millions d’enfants ont été vaccinés contre la rougeole, faisant subitement augmenter de 20 % la production mondiale de vaccins.

D’après le Leem (Les entreprises du médicament), cette « tension mondiale » entre la demande et les capacités de production et ces fluctuations imprévues du marché expliquent près de la moitié des situations de rupture. »2

« Mondialisation » : en effet, 80 % des molécules proviennent des États-Unis et surtout d’Asie. »

« Le marché s’est internationalisé et concentré : pour de nombreuses molécules, il n’existe que 2 ou 3 fournisseurs dans le monde. »3

  • Les laboratoires pharmaceutiques

« Les industriels sont très largement responsables de ces pénuries, principalement dues à des stratégies financières contestables, à un désengagement de certains médicaments et à une concentration des sites de productions. »4

Les laboratoires sont également responsables lorsqu’ils font le choix de produire en flux tendu, pour des raisons économiques. « Pour éviter les pertes et limiter les coûts, les labos réduisent au maximum les stocks ».

« Sur le fond, elle (ANSM) s’inquiète des « nouvelles stratégies industrielles de rationalisation des coûts de production qui conduisent les laboratoires à produire en flux tendu ».5

  • Le plafonnement des prix en France

« Les industriels tendent par ailleurs à privilégier la distribution dans des marchés offrant les prix les plus élevés, ce qui n’est pas le cas de la France, et inversement à limiter , voire arrêter, la production de médicaments anciens parce qu’ils jugent leur prix trop faible.

Il faut comprendre que la France est en compétition avec les autres pays pour être servie en cas de rupture de stock. Or, l’attractivité des prix des médicaments en France est clairement moindre par rapport à d’autres pays et il n’est donc pas exclu que la France ne soit pas privilégiée, voire soit servie en dernier. »6

« Restent les causes économiques (7 %) : les prix des médicaments en France sont dans 50 % des cas inférieurs au plus bas prix européen. Une ampoule d’Augmentin 1G/200 mg injectable est vendue 4,34 euros en France, contre 7,67 euros en Allemagne. Des écarts de prix qui encouragent le marché des exportations parallèles, autorisé au nom de la libre circulation au sein de l’UE. Certains grossistes-répartiteurs (short liners) se sont spécialisés dans la revente des stocks dans les pays qui rémunèrent davantage. »7

  • Les processus industriels

Les problèmes liés à la production elle-même (panne matériel, contamination d’un atelier, incendie…) sont à l’origine de… 20 % des ruptures et tensions.

« Par exemple, quand on fait pousser des souches de virus, le rendement n’est pas toujours au rendez-vous. » Le temps de fabrication (18 à 24 mois pour la plupart des vaccins) et les précautions nécessaires ajoutent une difficulté. »

Les difficultés d’approvisionnement seraient principalement dues à des retards pris dans la production ».8

  • La matière première

Il y a des difficultés d’approvisionnement en matière première et des défauts de qualité de matière première.

La demande mondiale et l’exigence de qualité augmentent.

« Pour des problématiques de défaut du principe actif lui-même ou de qualité, l’unité de production peut être en phase de tension, voire de rupture ».9

Quand la matière première est un micro-organisme, comme un un virus, c’est encore plus compliqué, nous l’avons vu.

  •  Les normes

Les contraintes réglementaires sont en cause dans 10 % des cas.

Alors que 70 % du temps de fabrication d’un vaccin est consacré au contrôle qualité, la moindre variation réglementaire exposerait 50 % de la population mondiale à un risque de rupture »10.

Thomas Borel, représentant des laboratoires pharmaceutiques (LEEM), explique :

« Les demandes sont de plus en plus importantes et les contrôles lors de la fabrication de plus en plus drastiques. Pour des problématiques de défaut du principe actif lui-même ou de qualité, l’unité de production peut être en phase de tension, voire de rupture, explique ainsi. Je vous rappelle que c’est une chaîne qui est extrêmement surveillée sur le plan de la sécurité et de la qualité. »

Enfin, les normes BPF (bonnes pratiques de fabrication) et réglementaires (sans compter les normes environnementales) sont en constante augmentation depuis 20 ans.

« S’y ajoute une complexification des traitements administratifs post-autorisation de mise sur le marché (AMM) sans coordination entre États. Au final, chaque modification du dossier d’AMM peut prendre « jusqu’à cinq ans jusqu’à la dernière approbation (exemple des vaccins) » affirme le rapport. »11

L’article suivant décrira les spécificités française de cette pénurie.

Patrick de Casanove

Président du Cercle Frédéric Bastiat, Patrick de Casanove est docteur en médecine. Il exerce à Ondres, commune dont il a été maire de 1995 à 2001. Il est l’auteur de “Sécu, comment faire mieux” (éditions Tatamis).

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